Open Source, souveraineté et sécurité : L'Europe face au défi numérique des GAFAM

Imaginez un monde où les serveurs publics, les services cloud, les applications de santé ou les plateformes éducatives cesseraient brusquement de fonctionner. Ce scénario n'est pas si hypothétique : il pourrait résulter d’une dépendance excessive aux technologies américaines. Chez bluedrop.fr, agence Drupal et fervente défenseuse du logiciel libre, nous explorons pourquoi l’indépendance numérique est devenue un enjeu stratégique majeur pour l’Europe face à la domination des GAFAM.

GAFAM, une domination systémique

Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ont su s'imposer comme les colonnes vertébrales invisibles du numérique global. Ils contrôlent les différentes couches du numérique : matériel, systèmes d’exploitation, services cloud, plateformes logicielles, IA, publicité et plus encore. Leur domination crée une dépendance structurelle pour les États, les entreprises et les citoyens européens.

Quelques exemples concrets de cette dépendance :

  • Cloud : plus de 70 % des données européennes dans le cloud sont hébergées sur les infrastructures d’Amazon, Microsoft ou Google.
  • Messagerie professionnelle : une majorité d’administrations utilisent Office 365.
  • Éducation : des écoles publiques adoptent G Suite sans alternatives locales.
  • Santé : certains hôpitaux utilisent des solutions d'IA diagnostique américaines sans savoir où ni comment leurs données sont traitées.

Mais cette dépendance a un prix

L'extraterritorialité juridique

Via des lois comme le Cloud Act (Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act), adopté en 2018, les États-Unis autorisent leurs autorités à exiger l'accès à des données, même lorsqu'elles sont hébergées hors du territoire américain, tant qu'elles sont détenues ou contrôlées par des entreprises américaines. Ce mécanisme crée un conflit direct avec le RGPD et remet en cause la souveraineté juridique des États.

La perte de maîtrise des infrastructures critiques

Cette dépendance se traduit par une externalisation de fonctions stratégiques à des entreprises étrangères, soumises à des législations extra-européennes. En cas de rupture géopolitique, de sanctions, ou même de décisions commerciales unilatérales de ces entreprises, les administrations pourraient perdre accès à des services essentiels, ébranlant leur capacité à assurer la continuité des missions publiques (santé, éducation, sécurité). Cela pose aussi un risque bien réel d’espionnage ou de fuites de données. Et quand il s’agit de santé, d’éducation ou de sécurité publique, peut-on vraiment prendre ce risque ?

Cybersécurité

Les cyberattaques explosent Europe selon l'ANSSI. Les rançongiciels, ou ransomware, chiffrent les données d’une organisation et exigent une rançon pour les restituer, paralysant ainsi hôpitaux, collectivités ou entreprises. Ces attaques visent directement la stabilité de nos sociétés. En cas de compromission d’un fournisseur majeur, l’impact peut être massif : indisponibilité des services publics, fuites de données médicales ou administratives, ou encore interruption de chaînes logistiques critiques. Pire encore, en cas de faille critique sur une technologie propriétaire, impossible de l’analyser, de la corriger, ou même de savoir ce qui a vraiment été compromis. On reste dans le noir. En ne maîtrisant ni les technologies, ni les données, ni les protocoles de sécurité, l’Europe s’expose à une perte de contrôle stratégique de ses infrastructures.

L'opacité algorithmique

Derrière chaque moteur de recherche ou recommandation de contenu se cachent des algorithmes opaques. Vous ne savez pas pourquoi tel résultat apparaît, ni qui a décidé qu’il était pertinent. Cette absence de transparence a des conséquences concrètes : elle rend impossible la compréhension des critères qui influencent ce que nous voyons et nous expose à des biais discriminatoires ou idéologiques invisibles. Résultat, la confiance dans les outils numérique se fragilise et le complotisme explose.

Manque de régulation

Au-delà de la technique, les plateformes ont aussi fait des choix idéologiques lourds de conséquences. Depuis l’élection de Donald Trump, les fondateurs de Meta (Zuckerberg) et X (Elon Musk) ont délibérément affaibli les mécanismes de régulation, en supprimant les outils de fact-checking au nom d'une prétendue “liberté d'expression absolue”. Cette dérégulation a permis la propagation massive de désinformation, radicalisé les débats publics et fragilisé la démocratie. Sans alternative à ces outils, nous sommes donc à la merci de leurs décisions.

Entre les tensions géopolitiques croissantes, la protection des données personnelles et la concentration des pouvoirs technologiques entre les mains de quelques acteurs non européens, l'Europe ne peut plus ignorer ces dérives.

L'open source, clé de l'indépendance technologique ?

On se fait souvent une image fausse du logiciel libre, réduit à un usage amateur ou à des outils gratuits sans valeur commerciale. En réalité, il structure l’ensemble du numérique mondial :

  • Internet repose entièrement sur des logiciels libres (Apache, NGINX, Linux, BIND, OpenSSL).
  • Les GAFAM eux-mêmes s’appuient sur des projets open source massivement (Kubernetes, TensorFlow…).
  • Les infrastructures critiques (supercalculateurs, réseaux 5G, systèmes embarqués) dépendent largement de technologies ouvertes.

Ce n’est donc pas une alternative marginale. C’est le moteur invisible du numérique moderne.

Collaboration, transparence, sécurité, des valeurs naturellement alignées avec celle de l'Europe

L'open source repose sur des principes puissants : collaboration, transparence, liberté, et innovation partagée. Des valeurs qui, en Europe, résonnent particulièrement fort.

Pour nous, chez bluedrop.fr, ces valeurs guident nos choix technologiques depuis le début : 

  • Collaboration : les solutions open source sont le fruit de la collaboration entre les développeurs du monde entier.
  • Liberté : Les licences open source offrent aux utilisateurs la liberté d'utiliser, de modifier et de distribuer le logiciel. Aucune organisation ou aucun pays ne peut revendiquer la propriété du code.
  • Partage des connaissances : L'open source favorise le partage des connaissances et des compétences. En rendant le code source accessible, les développeurs peuvent apprendre les uns des autres et améliorer leurs compétences.
  • Innovation : L’open source crée un vrai cercle vertueux de montée en compétence, d’émulation, de qualité.
  • Sécurité : Grâce à la transparence et à la collaboration, les vulnérabilités de sécurité peuvent être identifiées et corrigées rapidement. La communauté open source peut réagir rapidement aux menaces de sécurité, ce qui peut rendre les logiciels open source plus sûrs.

Et surtout : l’open source permet de garder la maîtrise. À l’heure où la souveraineté numérique devient un enjeu stratégique, c’est un levier de résilience essentiel.

Évidemment, gérer soi-même des solutions open source peut être complexe. Mais en Europe, un écosystème solide (dont nous faisons partie) s’est structuré autour de ces technologies. Rien qu’en France, il représente 11% du numérique et près de 64 000 emplois (2022).

Un exemple concret : Drupal

Pour parler d'un exemple que nous connaissons bien, Drupal est une véritable success story de l'open source. Avec son architecture robuste et modulaire, ce CMS bénéficie d'une communauté internationale structurée, d'une gouvernance transparente et d'une adaptabilité exceptionnelle pour les besoins spécifiques (accessibilité, sécurité, multilinguisme, RGPD).

Chez bluedrop.fr, nous avons fait de Drupal notre cœur d’expertise depuis 20 ans :

  • Nous construisons des projets open source pour les entreprises privées, les collectivités, les ONG, les ministères, les institutions culturelles et scientifiques.
  • Nous contribuons à l'écosystème via le partage et la maintenance de modules Drupal avec la communauté.
  • Nous développons des solutions open source comme par exemple, DropFactory, notre solution d’usines à sites basée sur Drupal. Une alternative 100 % open source à Aegir qui prend fin. Parce que quand une brique open source disparaît, on ne reste pas les bras croisés, on agit, on construit, on contribue.

Retard industriel européen : une vulnérabilité stratégique

Le rapport Draghi (2024) a mis en lumière un paradoxe : l’Europe est à l’origine de nombreuses innovations clés mais échoue à les industrialiser.

Pourquoi ce retard industriel ? Les causes sont nombreuses. 

On peut citer par exemple, la faiblesse de l’investissement privé dans la tech ou encore l’inachèvement du marché unique. C’est-à-dire le fait que les règles économiques et juridiques ne sont pas totalement harmonisées entre les pays membres de l’Union européenne, empêche l’émergence de champions continentaux. En l’absence d’un véritable marché unifié, les entreprises technologiques européennes sont confrontées à des obstacles réglementaires, fiscaux et administratifs différents selon les États membres. Une entrave à leur croissance, aux économies d’échelle et à la compétitivité face aux géants américains ou chinois qui, eux, évoluent dans un espace économique homogène.

Sur l’IA, l’Europe accuse un retard en termes de capitalisation (OpenAI, Anthropic...) mais se distingue sur la régulation (AI Act) et les projets éthiques open source (Mistral AI, BLOOM). De plus, le succès populaire de ChatGPT en Europe a généré une prise de conscience, mais sans traduction industrielle massive, du moins pour l’instant.

Ce que fait l'Union Européenne

Il est aujourd'hui évident que l'Union européenne doit urgemment agir pour répondre à tous ces défis.  En matière de sécurité, elle a déjà commencé :

  • Le programme ProtectEU (2024) 
    Ce programme renforce la résilience des infrastructures critiques (santé, énergie, transport…) face aux cybermenaces. Il soutient des projets de cybersécurité, encourage l’usage de technologies open source auditées et favorise la coopération entre États membres pour mieux réagir en cas de crise.
  • Le Cyber Resilience Act (CRA)
    Adoptée en 2024, cette loi impose aux fabricants d’objets connectés et de logiciels embarqués d’intégrer la sécurité dès la conception. Au menu : correctifs rapides, documentation claire, transparence sur les mises à jour… et obligation de signaler les incidents majeurs.

Le logiciel libre devient une brique stratégique, car il garantit l’auditabilité, l’interopérabilité et l’appropriabilité des systèmes utilisés.

C'est un bon début, même si cela ne résout pas notre problème de dépendance.

Florilège d'idées pour développer une souveraineté numérique européenne

Parmi les idées fréquemment évoquées : adopter une politique "Open Source First" au niveau européen. En clair : privilégier systématiquement les solutions open source dans les marchés publics, sauf exception justifiée. L’Italie montre déjà la voie depuis 2012.

Autre levier essentiel : soutenir nos PME open source avec des mesures concrètes (quotas dans les appels d’offres, subventions, accès simplifié aux programmes européens d’innovation). Trop souvent, les petits acteurs sont écartés faute de moyens… alors qu’ils portent l’innovation.

Former dès le plus jeune âge aux technologies ouvertes serait aussi un vrai changement de culture. Parce qu’un écosystème souverain passe aussi par des talents qui comprennent, maîtrisent et développent ces outils.

Certains acteurs promeuvent également une plateforme européenne des besoins technos des grands groupes, ouverte aux start-ups locales, pour créer des ponts et stimuler l’innovation continentale.

Mais attention : la transformation ne doit pas reposer uniquement sur la puissance publique. Le secteur privé a un rôle clé à jouer pour faire de l'open source un moteur d’innovation aligné sur nos intérêts et nos valeurs.

L’open source, un levier stratégique pour une Europe souveraine

Pour nous, il ne fait aucun doute : l’open source doit devenir un pilier des politiques industrielles et de sécurité européennes. C’est le seul modèle capable de concilier innovation, transparence, indépendance technologique et soutien aux acteurs locaux.

Dans un monde sous tension, entre cybermenaces, monopoles privés et enjeux géopolitiques, l’Europe a le choix : subir ou construire. Construire, c’est investir dans la formation, soutenir les PME du secteur, exiger des critères open source dans les marchés publics, et accompagner la transition numérique.

Chez bluedrop.fr, c’est notre cap depuis toujours. On croit que la souveraineté commence par la maîtrise de ses outils, la contribution aux communs, et la transparence des technologies utilisées.

Envie de faire évoluer votre plateforme numérique dans ce sens ? Parlons-en. On est là pour construire, ensemble, un numérique plus libre, plus résilient, plus européen.